Soutien du Japon à la gestion des données à distance pour les équipes médicales d'urgence dans la crise humanitaire de Gaza
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2024.11.07
Plus d'un an s'est écoulé depuis l'escalade du conflit intense entre le Hamas et Israël. Alors que les combats ne montrent aucun signe d'apaisement, la JICA poursuit son soutien humanitaire à Gaza, en utilisant l'expertise développée au sein de l'équipe du Secours d'urgence du Japon (JDR) en collaboration avec l'OMS. Trois membres de l'équipe sont interrogés sur leur soutien du Japon.
Un camp de réfugiés touché par les frappes aériennes israéliennes à Rafah, dans le sud de la bande de Gaza.
Photo : Anas-Mohammed / Shutterstock.com
Le 7 octobre 2023, le Hamas, le groupe militant qui contrôle la bande de Gaza dans les territoires palestiniens, a lancé une attaque de grande envergure contre Israël, qui a riposté par des frappes aériennes intenses. Aujourd'hui, plus d'un an après, il n'y a toujours pas de fin en vue au conflit, compliqué par des facteurs historiques et géopolitiques complexes.
Selon le ministère de la Santé de Gaza, plus de 41 000 Palestiniens ont été tués et plus de 95 000 blessés dans ce conflit. Environ 60 % des bâtiments de Gaza ont été endommagés et plus de la moitié des hôpitaux ne sont plus en état de fonctionner. Les points de contrôle ont été fermés, de sorte que l'aide humanitaire (nourriture, eau, carburant et fournitures médicales) ne parvient pas aux habitants en quantités suffisantes. De nombreux habitants de Gaza souffrent de la faim et de maladies infectieuses. Le secrétaire général des Nations unies, António Guterres, a appelé l'attention sur le fait que les habitants de Gaza « vivent un enfer ».
Un abri gouvernemental à Rafah, dans le sud de la bande de Gaza, où de nombreux Palestiniens ont trouvé refuge.
Photo : Anas-Mohammed / Shutterstock.com
Environ 17 équipes médicales d'urgence (EMT, Emergency Medical Teams) travaillent sans relâche pour fournir des soins à Gaza. Au début, les conditions difficiles, telles que le manque d'Internet et de nourriture, ont rendu impossible l'échange d'informations. Personne, y compris l'Organisation mondiale de la santé (OMS), n'avait une idée précise de la répartition des patients, de leur état ou de leurs besoins médicaux. Le 13 octobre, l'OMS a demandé à l'équipe du Secours d'urgence du Japon (JDR) d'offrir son expertise en matière de gestion des données.
L'équipe médicale du JDR a été déployée pour apporter un soutien médical aux victimes du typhon qui a frappé les Philippines en 2013. À partir de cette expérience, l'équipe a mis au point une méthode efficace de collecte de données essentielles sur le nombre et l'état des patients traités par les EMT lors de catastrophes. La méthode, connue à l'origine sous le nom de « SPEED » dans le pays, standardise les dossiers médicaux et les rapports quotidiens, facilitant ainsi une agrégation facile et efficace des données. Elle permet également de visualiser les activités des EMT dans les zones sinistrées, fournissant ainsi aux responsables non experts des informations vitales pour mieux comprendre la situation et prendre des décisions en connaissance de cause.
Plus tard, cette méthode a été introduite pour la réponse aux catastrophes au Japon sous le nom de « J-SPEED » et officiellement adoptée par l'OMS en tant que norme internationale appelée « EMT Minimum Data Set » (MDS ou EMD, ensemble minimal de données). Cette méthode a depuis gagné la confiance du monde entier après avoir été utilisée dans des crises telles que le cyclone de mars 2019 au Mozambique, le tremblement de terre de février 2023 en Turquie, les inondations de 2023 en Libye et dans les pays touchés par le conflit en Ukraine. L'expérience et l'expertise de l'équipe médicale du JDR en matière de gestion des données, ainsi que la confiance qu'elle a établie avec l'OMS, ont conduit à la demande de son soutien à Gaza.
Le Secours d'urgence du Japon (JDR)
Le JDR est une unité de secours japonaise envoyée à la demande du gouvernement du pays touché ou d'organisations internationales pour soutenir les efforts de secours en cas de catastrophe à l'étranger. Il est composé de cinq équipes - l'équipe médicale, l'équipe de sauvetage, l'équipe d'intervention contre les maladies infectieuses, l'équipe d'experts et l'unité des Forces d'autodéfense - dont le secrétariat est assuré par la JICA. À l'heure actuelle, le JDR est intervenu à 168 reprises, notamment pour le typhon de 2013 aux Philippines, le tremblement de terre de 2015 au Népal et le tremblement de terre de 2023 en Turquie. La loi sur le JDR stipule qu'il ne peut être déployé que pour des catastrophes naturelles, ce qui signifie que les crises humanitaires résultant de conflits restent en dehors de son champ d'action. Néanmoins, la JICA apporte autant de soutien que possible aux crises humanitaires par d'autres moyens, tels que la coopération technique et financière. La mission à Gaza constitue le deuxième recours à l'expertise du JDR pour des catastrophes non naturelles, après l'aide apportée à la Moldavie, touchée par le conflit ukrainien.
L'ensemble minimal de données (EMD) comprend une cinquantaine d'éléments, tels que des informations fournies par les équipes médicales d'urgence (EMT), des détails sur la date et le lieu du traitement, l'âge et le sexe du patient, et s'il est porteur de maladies infectieuses ou de maladies non transmissibles. La normalisation et l'unification de ces éléments permettent une collecte et une analyse des données plus rapides et plus efficaces.
Normalement, l'aide fournie par les équipes du JDR est apportée sur place, mais en raison des restrictions imposées à la circulation des personnes et des biens à l'intérieur et à l'extérieur de Gaza, ainsi que des problèmes de sécurité, il a été extrêmement difficile pour le personnel de la JICA d'entrer dans la ville. Par conséquent, il n'y avait pas d'autre choix que de fournir une assistance à distance cette fois-ci.
Le Dr Kai Soichiro, du Centre médical d'urgence de Hyogo, a participé au projet de soutien à Gaza dès ses débuts et a assuré la coordination avec l'OMS. « Lorsque nous avons commencé l'assistance à distance, nous avons dû mettre en place les bases telles qu’un système permettant aux EMT sur place de communiquer leurs données », explique-t-il.
Le Dr Kai précise que, pour appréhender la situation médicale globale à Gaza, il est essentiel de collecter des données quotidiennes auprès des EMT à partir de 50 éléments de l'EMD, notamment l'âge, le sexe, le lieu, la gravité et le type de blessure du patient, ainsi que la présence de maladies infectieuses ou de grossesses. « Au début, le cadre pour ce type de rapport n'était pas encore en place », ajoute-t-il.
Le Dr Kai Soichiro, directeur adjoint du département de médecine d'urgence et de soins intensifs, Centre médical d'urgence de Hyogo, directeur exécutif de l'organisation non gouvernementale Humanitarian Medical Assistance (HuMA). En tant que membre de l'équipe médicale du JDR et de l'équipe d'aide médicale en cas de catastrophe (DMAT) au Japon, il a participé aux secours en cas de catastrophe et au développement de systèmes de soutien pour les catastrophes nationales et internationales, y compris le grand tremblement de terre de l'est du Japon du 11 mars 2011. Il a également travaillé pour des projets de la JICA visant à mettre en place des systèmes médicaux en cas de catastrophe en Amérique latine et dans la région de l'ANASE.
Normalement, les cellules de coordination des EMT (EMTCC) établies par le pays touché consolident les données des EMT. La situation est toutefois différente à Gaza. La région est soumise à des restrictions d'entrée strictes et l'accès à l'internet n'étant pas fiable, la communication a été gravement entravée. De décembre à janvier, huit membres de l'équipe médicale du JDR se sont relayés au Caire, où ils se sont entretenus directement avec l'OMS et diverses EMT entrant et sortant de Gaza. Cela a mis en évidence l'importance d'élaborer des rapports. Ils ont coordonné les données nécessaires et jeté les bases de l'assistance à distance. En raison des conditions difficiles, ils ont commencé par préparer des rapports sur un ensemble réduit de neuf éléments essentiels comparés aux 50 initiaux, connu sous le nom d' « Ultra EMD ». Puis, ils ont progressivement augmenté le nombre d'éléments pour inclure des données sur les blessures et les maladies infectieuses.
Ogawa Hanako est une infirmière forte de près de 20 ans d'expérience, qui étudie actuellement la santé publique dans le cadre du programme de maîtrise de l'Université d'Hiroshima. Elle dirige l'unité de saisie des données qui corrige et saisit les rapports de terrain EMD dans le format requis. « Bien que nous ne fournissions pas de soins médicaux directement aux victimes cette fois-ci, je me sens investie d'une grande responsabilité en transmettant à l'OMS les rapports des secouristes qui risquent leur vie », déclare-t-elle.
L'infirmière Ogawa Hanako est étudiante en master de santé publique à l'Université d'Hiroshima. C'est à la suite du grand tremblement de terre de Hanshin-Awaji qu'elle a souhaité devenir assistante médicale en cas de catastrophe. Depuis, elle a participé, en qualité d'infirmière, à des opérations de secours en cas de catastrophe, tant au Japon qu'à l'étranger. En tant que membre de l'équipe médicale du JDR, elle a été envoyée sur les lieux de catastrophes telles que le typhon de 2013 aux Philippines, le tremblement de terre de 2015 au Népal, le cyclone de 2019 au Mozambique et le tremblement de terre de 2023 en Turquie, au cours desquels elle a également travaillé à la gestion des données.
L'équipe d'enquête explique aux EMT entrant à Gaza comment utiliser l'EMD.
Les rapports EMD envoyés depuis le terrain présentent souvent des lacunes, ne respectent pas le format requis ou sont écrits à la main, ce qui les rend difficiles à compiler. L'unité de saisie des données de l'équipe médicale du JDR enregistre à nouveau les informations conformément au format de la feuille de données. Il existe également une unité de double contrôle qui vérifie les données saisies, une unité de gestion du système qui développe et gère les programmes de collecte de données et en assure la cohérence, et une unité de communication qui assure la coordination avec l'OMS et d'autres organisations. Jusqu'à 19 membres du JDR à travers le Japon sont répartis dans ces unités, travaillant jour et nuit pour soutenir les efforts ainsi déployés.
Tanaka Hideshige, président d'une société de conseil en informatique, est activement impliqué en tant que chef de l'unité de gestion du système. « En tant que professionnel non médical, mes contributions sont limitées, mais si je peux être utile, je suis prêt à apporter mon soutien », déclare-t-il. « S'il y a un travail lié à l'informatique ou au traitement des données, je considère qu'il est de mon devoir et de ma mission d'assumer ce rôle. »
Tous les membres du JDR offrent leurs services en parallèle de leur travail ou de leurs études. En raison du décalage horaire de sept heures avec Gaza, les données sont transmises quotidiennement avec une limite fixée à 21 heures (heure locale), ce qui nécessite de travailler tard dans la nuit. Grâce à leur collaboration, les membres de l'équipe ont maintenu un soutien continu depuis le début. Les données qu'ils recueillent sont incluses dans le rapport hebdomadaire de l'OMS, publié chaque lundi, qui décrit la situation médicale à Gaza.
L'ingénieur Tanaka Hideshige, consultant en informatique et président de Prime Integration LLC.
Il a participé au développement de J-SPEED, la version japonaise du système de rapports médicaux SPEED des Philippines, qui est devenu plus tard la base de l'EMD. Au cours des activités de soutien à la Moldavie, pays touché par le conflit ukrainien, il a développé des programmes de collecte et d'agrégation de données. Il travaille également au développement et à la formation du système de dossiers médicaux électroniques utilisé par l'équipe médicale du JDR.
Une partie des données compilées par le JDR et soumises à l'OMS sur une base hebdomadaire est disponible en ligne. Le tableau de bord du site web comporte le logo de la JICA. L'image est une capture d'écran du site web « Gaza Strip: Emergency Medical Teams Coordination Cell » (Bande de Gaza : Cellule de coordination des équipes médicales d'urgence).
Le rapport de l'OMS « Estimating Trauma Rehabilitation Needs in Gaza using Injury Data from Emergency Medical Teams ». Le rapport, qui estime les besoins de réadaptation des patients, a été élaboré par l'OMS sur la base des données gérées par le JDR. Le rapport indique qu'environ 25 % des 22 500 victimes ont subi des blessures aux membres, des amputations, des blessures à la tête ou à la colonne vertébrale et des brûlures, nécessitant une rééducation aiguë et continue.
Depuis le début, M. Tanaka s'inquiète de la proportion élevée de victimes parmi les enfants. En juillet 2024, environ 20 % des personnes blessées ou malades avaient moins de 5 ans. « Toutes les données médicales ne sont pas directement liées au conflit, mais c'est en voyant la souffrance profonde des enfants se refléter dans les données que j'ai le plus de mal », explique-t-il.
L'infirmière Ogawa, de l'unité de saisie des données, déclare que les détails des rapports sont inquiétants. « La section "texte libre" des rapports que nous recevons des EMT contient souvent des détails sur les conditions difficiles qui règnent dans les zones de conflit », explique-t-elle. « Ils rapportent des événements tels que "il y a eu un attentat à la bombe hier, et de nombreux blessés ont été amenés" ou "nous avons du mal à fournir des soins médicaux quotidiens en raison d'un manque de fournitures". Certaines équipes font également état de leur sécurité tous les jours. Le fait que des personnes travaillent dans des conditions aussi difficiles me préoccupe énormément. »
Le Dr Kai, qui a participé à la mise en place du système, explique qu'il n'est pas rare que le nombre d'accidents mortels figurant dans les rapports quotidiens soit supérieur à 10. « Au Japon, de tels chiffres ne seraient observés que lors d'accidents de la route de grande ampleur », précise-t-il. « Nous ne pouvons apporter notre soutien que par la gestion des données, mais nous espérons que notre travail réduira la charge qui pèse sur les EMT sur le terrain et leur permettra de trouver le temps de se reposer et de dormir. Et en définitive, nous espérons que cela profitera à la population de Gaza. »
La phase d'intervention d'urgence en cas de catastrophe naturelle ne dure que quelques mois, mais l'aide en cas de conflit est nécessaire aussi longtemps que cette situation perdure. Les membres partagent leur espoir que le conflit prenne fin le plus rapidement possible et qu'ils puissent passer au soutien de la reprise et de la reconstruction. Cet espoir est partagé par l'ensemble du personnel international d'aide d'urgence qui continue à soutenir les efforts médicaux à Gaza.
L'équipe organise deux fois par semaine des réunions de données en ligne, une occasion importante de communiquer en face à face.
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